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La cache

Famille atypique, cultivant une peur de tout, héritée de l'Occupation, les Boltanski méritaient bien un roman.

C’est à une visite de la maison de ses grands-parents, rue de Grenelle que nous convie Christophe Boltanski. De pièce en pièce, l’auteur redonne vie à sa famille, faisant surgir des scènes, des dialogues, des instants de vie et des moments de drame.
Il compare son travail d’enquête au jeu du Cluedo, petit clin d’œil à la difficulté souvent rencontrée pour reconstituer l’histoire. Plusieurs générations se mêlent, se croisent alors que ce roman familial commence dans une Fiat 500 où se tassent cinq personnes. C’est là que ça devient compliqué ; jusqu’à la moitié du livre environ il est un peu difficile de s’y retrouver, les premières lignes de chaque chapitre n’annonçant pas de qui parle l’auteur ni à quelle époque.
Etienne, fils d’émigrés juifs russes ayant fui les pogroms à la toute fin du 19e siècle et Marie-Elise, appelée aussi Myriam, une fille de famille de la bourgeoisie bretonne, offerte en cadeau à une parente isolée pour lui servir de fille et d’héritière. Un couple soudé, que rien ne séparera, ni les guerres, ni la polio contractée par Marie-Elise à trente ans et qui la laissera définitivement handicapée. Un couple qui envisage sa maison comme un cocon qui les isole de l’extérieur et les protège eux et leurs enfants.
Le grand-père, reconverti au catholicisme, a fait deux ans de tranchées comme médecin auxiliaire avec les brancardiers pendant la première guerre mondiale mais n’a pas échappé à la traque organisée et à la peur pendant la période d’occupation allemande. Une période évoquée lorsqu’on arrive à la petite pièce baptisée "entre-deux" dans laquelle une cache a pu être aménagée, permettant à Etienne, de se cacher pendant 20 mois.
On est parfois très étonné par la curieuse manière de vivre de la tribu Boltanski (enfants déscolarisés, désir tellement fort de ne pas être séparés que tout le monde dormait dans la même pièce, peu d’attention accordée aux repas, au ménage et à l’hygiène...) et comment ce climat a abouti à générer autant de talents intellectuels et artistiques (Luc sociologue et Christian artiste plasticien sans oublier Marie-Elise elle-même, romancière sous le nom d’Annie Lauran…).

Il y a aussi un fil rouge qui donne sens à ce roman : la question de l’identité. Car l’auteur s’interroge sans cesse sur la réalité de ces gens qui forment sa famille et dont les origines sont sans arrêt remises en question, ce qui arrive lorsque l’on doit fuir, maquiller son identité pour échapper au pire. Fausses identités, fausses déclarations, faux certificats...
L’écriture est très agréable teintée d’un grand respect pour cette famille atypique et les portraits sont en eux-mêmes passionnants. J’ai regretté qu’en en plus des croquis des lieux, un arbre généalogique n’ait pas été ajouté, cela aurait aidé et évité d’aller voir sur Internet….

Commentaire par ANNICK

"Nous avions peur. De tout, de rien, des autres, de nous-mêmes. De la petite comme de la grande histoire. Des honnêtes gens qui, selon les circonstances, peuvent se muer en criminels. De la réversibilité des hommes et de la vie. Du pire, car il est toujours sûr. Cette appréhension, ma famille me l'a transmise très tôt, presque à la naissance." Que se passe-t-il quand on tête au biberon à la fois le génie et les névroses d'une famille pas comme les autres, les Boltanski ? Que se passe-t-il quand un grand-père qui se pensait bien français, mais voilà la guerre qui arrive, doit se cacher des siens, chez lui, en plein Paris, dans un "entre-deux", comme un clandestin ? Quel est l'héritage de la peur, mais aussi de l'excentricité, du talent et de la liberté bohème ? Comment transmet-on le secret familial, le noyau d'ombre qui aurait pu tout engloutir ?   Résumé du livre, ETF
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