728 x 90

Le parfum des fleurs la nuit

Un texte magistral sur la création littéraire et la liberté d'être soi, dévoilant sa part la plus profonde.

Les éditions Stock ont eu l’idée de la collection « Ma nuit au musée », qui propose à des écrivains de passer une nuit enfermés dans un musée, en espérant que leurs sensations, leurs émotions favoriseront l’inspiration. A Leïla Slimani on suggère la Punta della Dogana (la pointe de la douane) à Venise, au milieu des œuvres de la collection Pinault.
Elle accepte le choix car pour écrire, elle a besoin d’isolement et de réclusion. Mais après un bain de foule dans Venise, une fois dans le musée, elle se demande dans quel piège elle est tombée puisqu’elle est convaincue que la création doit répondre à une nécessité, « une urgence intérieure ». Que va- t-elle faire, que va- t- elle raconter, elle qui a peu fréquenté les musées et qui ne comprend pas l’art contemporain ?

Elle décide de se promener pieds nus dans les salles, en regardant les œuvres des trente-six artistes exposés. Certaines la déroutent complétement, mais elle reconnaît des noms d’artistes qu’elle apprécie. Elle est particulièrement touchée lorsque, dans une installation, elle revoit l’arbre de son enfance marocaine qui attend la nuit pour dégager un parfum très fort. Cet arbre, près de sa maison était le témoin de ses sorties nocturnes effectuées en cachette.

C’est ainsi qu’elle se met à évoquer les souvenirs de sa jeunesse à Rabat, où les femmes étaient enfermées et dominées. Le souvenir qui l’emporte, c’est celui de son père, banquier injustement condamné, incarcéré, mort dans la déchéance sociale, innocenté des années après. C’est surtout pour lui qu’elle s’est mise à l’écriture, c’est lui qui l’a poussée indirectement, même si leurs rapports étaient complexes et n’avaient rien de familier.

Ce livre n’est pas un roman. Il se présente en courts chapitres sans suite, dans lesquels l’écrivaine parle d’elle, de ses difficultés à vivre partagée entre deux pays « Au Maroc, je suis trop occidentale, trop francophone, trop athée. En France, je n’échappe jamais à la question des origines ». Elle raconte ses désirs effrénés de voyages qui sont signe pour elle de liberté. Et elle termine par son travail d’écrivain qui l’a en partie sauvée.
Ce court ouvrage frappe par sa sincérité, sa finesse, sa grâce et la profondeur des réflexions d’une femme cultivée et sensible.
On peut dire que cet enfermement a été une réussite pour Leïla Slimani.

Commentaire par MALU

Comme un écrivain qui pense que « toute audace véritable vient de l’intérieur », Leïla Slimani n’aime pas sortir de chez elle, et préfère la solitude à la distraction. Pourquoi alors accepter cette proposition d’une nuit blanche à la pointe de la Douane, à Venise, dans les collections d’art de la Fondation Pinault, qui ne lui parlent guère ? Autour de cette « impossibilité » d’un livre, avec un art subtil de digresser dans la nuit vénitienne, Leila Slimani nous parle d’elle, de l’enfermement, du mouvement, du voyage, de l’intimité, de l’identité, de l’entre-deux, entre Orient et Occident, où elle navigue et chaloupe, comme Venise à la pointe de la Douane, comme la cité sur pilotis vouée à la destruction et à la beauté, s’enrichissant et empruntant, silencieuse et raconteuse à la fois. C’est une confession discrète, où l’auteure parle de son père jadis emprisonné, mais c’est une confession pudique, qui n’appuie jamais, légère, grave, toujours à sa juste place : « Écrire, c’est jouer avec le silence, c’est dire, de manière détournée, des secrets indicibles dans la vie réelle ». C’est aussi un livre, intense, éclairé de l’intérieur, sur la disparition du beau, et donc sur l’urgence d’en jouir, la splendeur de l’éphémère. Au petit matin, l’auteure, réveillée et consciente, sort de l’édifice comme d’un rêve, et il ne reste plus rien de cette nuit que le parfum des fleurs. Et un livre.   Résumé du livre, ETF
>