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Mémé

C'est chez sa Mémé, dans une petite maison normande humide et pleine de courants d'air que Philippe Torreton a vécu les plus merveilleuses vacances de son enfance.

Tout petit, après des semaines d’hospitalisation, il fut confié à sa grand-mère maternelle, fermière à Saint-Pierre-du-val, village normand près de Pont-Audemer, pour qu’il se refasse une santé et des bonnes joues roses. Il dit avoir vécu chez elle les meilleures années de son existence et en garder à jamais la nostalgie.

En famille, ils venaient de Rouen, chez « Mémé », passer les week-ends et les vacances, jusqu’à ce que ses parents s’installent de l’autre côté de la rue. Libre de courir dans la nature, s’occupant des animaux, aidant aux travaux des champs avec ses deux frères, il était fier d’être un « vrai Normand ».

C’est le jour de son enterrement, qu’il décida d’écrire ce livre, sur un coup de colère contre l’indifférence du curé qui expédia sa messe, « sans avoir révisé le dossier de la morte », ni voulu savoir pourquoi le village entier était en larmes dans l’église. Il raconte, au fil de ses souvenirs, sans ordre chronologique, le destin particulièrement cruel de cette femme courageuse qu’il a adorée.

Née en 1914, sa petite enfance fut marquée du sceau de la première guerre. Elle se maria jeune avec un savetier, un peu trop porté sur la bouteille. Ils vivotaient grâce aux produits d’une maigre ferme délabrée, qui « avait froid aux extrémités et des engelures aux chambres ». Des vaches, un cochon, des poules, quelques pommiers pour le cidre et un minuscule champ pour le potager. Elle travaillait dur sans se plaindre car sa fatigue était la rançon de son activité laborieuse et regardait Philippe d’un œil réprobateur, qui s’épuisait « pour rien », à courir tous les matins. Ecolo avant la lettre, elle recyclait tout, comme la plupart des paysans de son époque. Une poule devait « faire » trois repas pour trois personnes. « On ne gâche rien », rabâchait-elle à ses petits-enfants. Leur hamster préféré, mort un matin, se retrouva ainsi en civet dans leur assiette.

Sa vie d’adulte fut pourrie par la seconde guerre. Les Allemands venaient prélever leur dîme dans les fermes de Normandie. Elle serrait les dents et retenait sa hargne en remplissant leurs sacs pour protéger son frère et les maquisards qui venaient se ravitailler ou se faire oublier dans son grenier. Le jour du débarquement, elle aurait pu enfin se réjouir, quand on vint lui annoncer que ce frère venait de se faire tuer. Le lendemain, ce fut son père qui, désespéré par la mort de son fils, mourut criblé de balles, pour avoir insulté un groupe d’occupants qui fuyaient. Elle finit par divorcer de son ivrogne en 1951. Désormais seule pour élever ses trois filles, elle alla travailler en usine tout en continuant à tenir la ferme. En 1952, elle se remaria avec un veuf, père de cinq enfants. « Elle a pris tout le monde, sans compter, sans chichis » et s’est crue enfin à l’abri de l’adversité quand son mari se tua en « Solex » en 1974.
L’auteur décrit avec minutie, les meubles vieillots, la machine à coudre à pédale, la vaisselle faite à l’eau chaude sans additif.

Le récit n’est pas toujours facile à suivre, en raison de fréquentes digressions qui lui permettent de tirer à boulets rouges sur notre société de consommation en la comparant à l’existence fruste dont elle se satisfaisait. Son petit côté « roman de terroir où c’était mieux avant », est compensé par une écriture alerte et sincère, pleine de trouvailles et de poésie. Le propos est plein d’amour et de tendresse, quand il décrit ses derniers jours et évoque « la dernière caresse de morphine qui viendra terminer le travail bâclé par la mort ».

Commentaire par CLAUDINE

"Mémé, c’est ma mémé, même si ça ne se dit plus. Mémé me manque. Ses silences, ses mots simples au Scrabble, sa maison enfouie sous les pommiers et son buffet d’avant-guerre. Ce texte est subjectif, partial, amoureux, ce n’est pas une enquête, ce n’est pas une biographie, c’est ce que j’ai vu, compris ou pas, ce que j’ai perdu et voulu retenir, une dernière fois. Mémé, c’est mon regard de gamin qui ne veut pas passer à autre chose."   Résumé du livre, ETF

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