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Envoyée spéciale

Plus sophistiquée, plus maîtrisée que jamais, la "machine à fiction" de Jean Echenoz est une incomparable fabrique de sortilèges...

Le style Echenoz c’est de la haute couture, du cousu main. Et l’on sent qu’il pourrait raconter n’importe quel sujet, le résultat serait identique. (Il le dit lui même : « l’intrigue est un mal nécessaire »).

Un général sur la touche qui souhaite finir en beauté, des petites frappes décérébrées, un avocat véreux gravitent autour d’une jeune femme d’une constance (bonne sang mais c’est bien sûr, c’est en l’écrivant que je m’en rend compte : Constance, c’est son prénom !) parfaite quels que soient les circonstances. Et pourtant , elle ne tarde pas à se faire kidnapper, le général a en vue de déstabiliser le régime de Kim Jong, et c’est Constance qui sera infiltrée là-bas.. Il faut préciser qu’elle est totalement novice dans ce secteur d’activité, consacrant l’essentiel de sa recherche spirituelle à assortir son rouge à lèvres à son vernis çà ongles.

On va découvrir peu-à-peu les liens qui unissent tous ces personnages, et l’auteur s’amuse un peu à nous perdre sur des fausses pistes à coup de pseudo, récompensant cependant le lecteur attentif à l’aide d’indices savamment dispensés.
Le projet est tellement fou qu’il ne peut qu’éveiller l’intérêt : et la réalisation est à la hauteur, le formatage de la jeune femme, sa feuille de route, et la mise en œuvre de sa mission sont pour le moins particuliers, et géographiquement dispersés : Paris, la Creuse et Pyongyang !
Le récit fourmille de détails réjouissants : qui penserait à planquer un kidnappé dans une éolienne ?

Les personnages relèvent de la bande dessinée : pas que pour leur côté « Pieds Nickelés » mais pour leur portrait proche de la caricature et l’utilisation de détails de reconnaissance très graphiques : un tatouage, une couleur de maquillage, une description précise des coiffures.
Quant au style, il est unique. Très travaillé, j’en veux pour preuve les zeugmas, personnifications et autres figures de style qui ne peuvent se trouver 1à par hasard. Son regard sur les détails, avec un angle d’approche particulier confère à une situation ou une anecdote insignifiante une étrangeté : c’est un peu le sentiment de vacuité que l’on peut ressentir lorsque l’on répète un mot isolément jusqu’à le vider de son sens.
La partie coréenne vaut son pesant de kimchi (légumes à la coréenne) ne serait-ce que par le portrait des personnages.

Commentaire par M.T.

Constance étant oisive, on va lui trouver de quoi s'occuper. Des bords de Seine aux rives de la mer Jaune, en passant par les fins fonds de la Creuse, rien ne devrait l'empêcher d'accomplir sa mission. Seul problème : le personnel chargé de son encadrement n'est pas toujours très bien organisé. Autour de l'enlèvement de Constance, son héroïne, l'écrivain tisse un dispositif romanesque complexe et génial. Voyage entre Paris, Pyongyang et la Creuse. Mélange indistinct de modestie et d'aristocratique désinvolture, Jean Echenoz aime à définir ses romans comme des "machines à fiction", des "mécaniques bricolées". L'intrigue d'Envoyée spéciale est résolument rétive à tout résumé. Ce n'est pas qu'on s'en moque, loin de là, au contraire, des aventures de Constance, qui la mèneront jusqu'à Pyongyang ― cela, on peut le révéler sans déflorer le suspense. On est même captivé, littéralement fasciné par le génial dispositif romanesque dont Jean Echenoz tire ici les ficelles.   Résumé du livre, ETF
Jean ECHENOZ
ECRIVAIN
BIO
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