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La ligne de nage

La romancière américaine d'origine japonaise explore la fin de vie et la perte de mémoire dans un roman mélancolique mais heureux.

Un livre attachant, riche de beaucoup de sensibilité, de finesse dans la peinture de
relations sociales et familiales.La première partie du livre se passe à la piscine, dans le cadre de l’ entraînement régulier de nageurs « ordinaires ». Avec beaucoup de cocasserie, d’humour, on partage les rivalités, les mesquineries, les bagarres de territoire de chacun des participants, les hiérarchies, mais aussi un sentiment d’appartenance au monde « d’en bas » en opposition à celui « d’en haut ». Ça pourrait se passer dans bien d’autres contextes sociaux et il ne faudrait pas se priver de cette lecture parce qu’on ne pratiquerait pas la natation...

La narratrice nous entraîne ensuite dans un chapitre burlesque, inquiétant même :
l’apparition d’une fissure dans la piscine. Nous observons alors un changement profond
des relations entre les nageurs : dans une ambiance de complotisme (la fissure existe-telle vraiment ? Quelle est son origine ?), les faux-semblants tombent, les rivalités
s’évaporent, les rancunes sont oubliées, une « nouvelle gentillesse » advient… Après bien des conjectures, les nageurs se résignent à l’obligation de mettre fin à leur pratique.

C’est alors que l’autrice met l’accent sur Alice, l’une des nageuses que nous avons
côtoyée dès le début du livre. Par petites touches, elle affine son histoire. Nous
retrouvons alors l’épisode de « ces femmes qui n’avaient jamais vu la mer », précédent roman de Julie Otsuka qui retrace le parcours de ces jeunes femmes japonaises mariées sur photo à des américains de la côte ouest des Etats Unis avant la seconde guerre mondiale, qui avaient été internées, avec leur famille, dans des camps, après l’épisode de Pearl Harbour. On découvre alors une histoire plus intime de la famille de l’autrice (la nageuse Alice pourrait être sa mère…) Et nous visitons la vie quotidienne du vieux couple, suite de souvenirs et d’oublis « elle se rappelle », « elle a oublié »…

Le livre nous emmène ensuite auprès d’Alice qui séjourne à présent en maison de retraite : une description très lucide de son quotidien, à l’actualité bouleversante. La narratrice revient sur ses relations avec sa mère avec des regrets « c’est trop tard », de la nostalgie « tu as toujours cru qu’elle vivrait indéfiniment », sans oublier le père, présent à ses côtés.
C’est une histoire dépeinte avec beaucoup de finesse et de tendresse.

Commentaire par E.C.

Nageurs et nageuses de cette piscine que tous appellent "là en bas" ne se connaissent qu'à travers leurs routines et petites manies, et les longueurs, encore, encore. Ils y viennent à heure fixe pour se libérer des fardeaux de "là-haut". Alice, tout spécialement, trouve un grand réconfort dans sa ligne de nage. Et puis un jour, une fissure apparaît au fond, dans le grand bain, en préfigurant d'autres, celles de son cerveau. Pour elle, l'inéluctable fermeture résonne comme un clap de fin. Remontent alors à la surface des souvenirs de jadis, de l'internement dans un camp pour Nippo-Américains pendant la Seconde Guerre mondiale, d'une enfant perdue très tôt, pourtant si parfaite... Mais Alice oublie chaque jour un peu plus. Là où il faudra bien se résoudre à l'enfermer, sa fille essaie de sauver quelques lambeaux du paysage fracturé qu'est devenue leur relation lacunaire.   Résumé du livre, ETF
Julie OTSUKA
ECRIVAIN
BIO
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