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Vivre avec nos morts

Un livre lumineux et sans pathos qui invite à célébrer la vie.

Delphine Horvilleur est une des rares femmes rabbins. Elle exerce dans le Judai’sme en mouvement, courant libéral. C’est aussi une écrivaine de plus en plus connue par les médias. Elle publie cet essai en 2OZl, au moment où la COVID tue beaucoup de gens et oblige à penser à la mort, sujet tabou dans notre société. La mort, elle la côtoie tous les jours puisqu’elle assiste les familles endeuillées jusqu’à la cérémonie du cimetière. Le sous-titre de son ouvrage PETIT TRAITE DE LA CONSOLATION indique clairement son but.

En onze chapitres, elle évoque les morts dont elle a prononcé les oraisons funèbres, qui ne sont jamais dramatiques car elle les accompagne de récits tirés du Talmud qui disent que « la vie et la mort se tiennent continuellement la main et dansent » ». Ces morts sont des anonymes ou des gens connus, croyants ou non croyants.

Bien sûr on retient la cérémonie en l’honneur d’Elsa Cayat, la psy de Charlie, tuée lors de la fusillade en 2015. Beaucoup des amis présents étaient athées et elle est amenée à réfléchir sur la laïcité française qui n’oppose pas la foi à l’incroyance. On n’oubliera pas non plus les enterrements à un an d’intervalle de Simone Veil et de son amie Marceline Desbordes, « « les filles de Birkenau », deux femmes absolument différentes mais liées par les souvenirs du camp. On est ému par cet enfant de huit ans qui a perdu son petit frère et ne sait pas où le chercher, dans la terre ou au ciel. Et on est bouleversé lorsque la rabbine assiste sa propre amie, morte en pleine jeunesse. C’est ainsi qu’en parlant d’elle elle revisite son histoire et rappelle le destin tragique de sa famille maternelle.

Cet essai est passionnant. L’auteur s’adresse aux juifs qui veulent qu’on prononce le
kaddish, la prière des morts, sur la tombe mais aussi à ceux qui n’ont pas la foi ou qui ne sont pas familiers du judaïsme. Elle le fait en conteuse pleine de verve, qui sait trouver les mots pour consoler. Elle veut « faire sentir combien dans la vie, nous avons été en vie ».
C’est une femme érudite, sensible, ouverte d’esprit, féministe, spirituelle, avec un grand sens de l’humour. « Grand est le Dieu de l’humour. Tout petit celui qui en manque ».
Comment Dieu pourrait -il se fâcher qu’on se moque de lui par des caricatures ?
Ses expériences ne lui évitent pas la peur de la mort mais elle nous aide en affirmant
que « nous serons ce que les autres raconteront de nous ».
Comme Jul, le dessinateur de Charlie, nous avons presque envie de dire « ...Je veux bien vous réserver pour mon enterrement » »

Commentaire par MALU

« Tant de fois je me suis tenue avec des mourants et avec leurs familles. Tant de fois j’ai pris la parole à des enterrements, puis entendu les hommages de fils et de filles endeuillés, de parents dévastés, de conjoints détruits, d’amis anéantis… » Etre rabbin, c’est vivre avec la mort : celle des autres, celle des vôtres. Mais c’est surtout transmuer cette mort en leçon de vie pour ceux qui restent : « Savoir raconter ce qui fut mille fois dit, mais donner à celui qui entend l’histoire pour la première fois des clefs inédites pour appréhender la sienne. Telle est ma fonction. Je me tiens aux côtés d’hommes et de femmes qui, aux moments charnières de leurs vies, ont besoin de récits. » A travers onze chapitres, Delphine Horvilleur superpose trois dimensions, comme trois fils étroitement tressés : le récit, la réflexion et la confession. Le récit d’ une vie interrompue (célèbre ou anonyme), la manière de donner sens à cette mort à travers telle ou telle exégèse des textes sacrés, et l’évocation d’une blessure intime ou la remémoration d’un épisode autobiographique dont elle a réveillé le souvenir enseveli. Nous vivons tous avec des fantômes : « Ceux de nos histoires personnelles, familiales ou collectives, ceux des nations qui nous ont vu naître, des cultures qui nous abritent, des histoires qu’on nous a racontées ou tues, et parfois des langues que nous parlons. » Les récits sacrés ouvrent un passage entre les vivants et les morts. « Le rôle d’un conteur est de se tenir à la porte pour s’assurer qu’elle reste ouverte » et de permettre à chacun de faire la paix avec ses fantômes…   Résumé du livre, ETF
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